dimanche 29 janvier 2012

Le Bateau Lavoir à Montmartre

« Nous retournerons tous au Bateau-Lavoir. Nous n’aurons vraiment été heureux que là… » disait Picasso à André Salmon après la libération. « Au Bateau-Lavoir, quand je n’avais pas le sou, là, j’étais célèbre, j’étais un peintre, pas une bête curieuse »

A sa construction, en 1860, le Bateau-Lavoir (pas encore ainsi dénommé) fut une manufacture de piano. Janine Warnod dans son ouvrage qu’elle lui a consacré indique qu’il était occupé, en 1867, par le serrurier François-Sébastien Maillard dont les initiales figurèrent longtemps au-dessus de la porte d’entrée. Paul Langevin, dont le père était employé par Maillard, y serait né.
En 1889, le propriétaire du moment chargea l’architecte Paul Vaseur de diviser le bâtiment en dix ateliers, leur location représentant un revenu intéressant à une époque où Montmartre commençait à connaître la faveur des artistes. L’architecte ne fit guère d’effort d’imagination, et il se contenta de compartimenter les étages avec des cloisons de planches, créant une sorte de labyrinthe, de coursives et d’escaliers absurdes
Cet immeuble insolite déconcertait les visiteurs qui y venaient pour la première fois. La façade, d’un seul étage, côté place, portait le n° 13. de la place Ravignan (actuelle Emile Goudeau). C’était en réalité le dernier étage, compte tenu de la déclivité du terrain. Côté cour, la façade s’ouvrait rue Garreau et avait son rez-de-chaussée trois étages en dessous. On voit quelle source de quiproquos et d’embrouilles il y avait là.
Tout, dans la disposition des lieux était insolite et cocasse. Des puits d’aération traversaient l’immeuble de part en part. L’un d’eux, un soir d’hiver, causa la mort d’un locataire allemand qui était monté sur le toit pour déblayer la neige obscurcissant la verrière de son atelier. Il tomba dans un de ces pièges et se cassa les reins.
Un seul robinet d’eau, dans la cour, pour tous les locataires
Il y avait bien une concierge, Mme Coudray, mais elle habitait au n° 13ter, l’ancien pavillon d’Alphonse Karr. Mme Coudray aidait les artistes. Parlant d’elle, Max Jacob disait : « Voûtée, jeune et vieille, râpeuse, allègre, intelligente, elle nous aimait. » Elle avait toujours un bol de bouillon riche en légumes pour les plus affamés. Ayant pris Picasso sous sa protection, elle accourait parfois le matin tambouriner à sa porte pour annoncer un amateur : « M’sieur Picasso, levez-vous vite, c’est du sérieux ! » Elle l’obligeait à se lever et à s’habiller pour recevoir l’acheteur matinal.

Ambiguïté supplémentaire du Bateau-Lavoir : son nom. A l’époque où ils y vécurent, jamais Picasso et ses amis ne l’appelèrent autrement que la Maison du Trappeur. Ce qui était plus approprié, la baraque avec ses cloisons de planches ressemblant bien davantage à une cabane de trappeur de l’Alaska qu’à un bateau-lavoir. On ignore qui, de Max Jacob ou d’André Salmon trouva ce nom insolite pour désigner ce bâtiment bas juché presque au sommet de la Butte. La version la plus plausible est que Max Jacob, voyant du linge sécher à une baie vitrée, ait le premier parlé de bateau-lavoir. André Salmon aurait ajouté qu’il se souvenait d’un bateau-lavoir aussi sonore.

Au début du siècle, le Bateau-Lavoir avait déjà sa légende. Le peintre impressionniste Maxime Maufra, auteur de paysages bretons, y avait habité dès 1892. Tous les historiens de la Butte précisent qu’il reçut dans son atelier Gauguin, qu’il avait connu à Pont-Aven, au retour de son premier voyage à Tahiti. Il lui aurait même accordé l’hospitalité.

Selon Roland Dorgelès, il y avait au Bateau-Lavoir un bonhomme qui avait posé sur sa porte une plaque émaillée indiquant : « Sorieul cultivateur ». En fait, c’était un retraité qui était venu de la campagne pour vivre à Paris auprès de ses enfants. Montant un de ses canulars dont il était coutumier, Dorgelès l’affubla d’une blouse bleue, d’un chapeau breton, le munit d’un gourdin noueux et le fit poser devant un carré de légumes dans un des potagers de la Butte. Il publia la photo avec une légende précisant qu’il s’agissait d dernier paysan authentique de Montmartre. En réalité, il y en avait bien d’autres, mais ils ne portaient ni blouse, ni chapeau breton

A la fin 1908, il y eut un drame au Bateau-Lavoir, un locataire allemand, Wigels, se suicida ; on le retrouva pendu à une poutre dans son atelier. Comme il n’avait laissé aucune lettre pour expliquer son geste, on pensa qu’il s’était donné la mort au cours d’une crise de « manque » car il se droguait

Coïncidence, Jacques Vaillant, qui reprit son atelier vingt-cinq ans plus tard, se donna la mort à son tour, pour des motifs presque analogues, mais lui, en se tirant une balle de revolver dans la tempe. Comme Wigels, il ne laissa aucune lettre explicative

Et puis, le 12 mai 1970, un incendie ravagea le Bateau-Lavoir



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